Faut-il utiliser des filtres en astronomie visuelle ?

C'est quoi un filtre ?

 

 

 

 

Les photographes utilisent des filtres, les observateurs du soleil également. Mais qu'en est-il en astronomie visuelle "deep sky". Fait-il du sens d'en utiliser ? ... Ben, cela dépend ! Je suis d'avis qu'au moins un filtre devrait se trouver dans la valise d'oculaires de chaque astram. Un deuxième est utile, mais pas absolument nécessaire. Pour le reste: ... bof !

 

C'est quoi, un filtre? Comme son nom l'indique, il "filtre", donc "élimine" une partie des rayons de lumière qui passent normalement par l'objectif / le miroir avant d'arriver à l'œil. On doit donc clairement se rendre compte que, si l'on utilise un filtre, il arrive toujours moins de lumière à l'œil que si l'on n'en utilise pas. L'utilité d'un filtre paraissant évident pour le soleil et la lune ("éblouissement"), c'est moins évident pour les objets faibles, comme pour les galaxies et autres nébuleuses. Il doit donc exister une raison spécifique pour qu'on réduise encore la lumière déjà assez (ou même très) faible de ces objets en les filtrant.

Émetteurs en continue et émetteurs sélectifs

 

 

 

 

En fait, il existe deux sortes d'émetteurs (de lumière) dans le ciel: les émetteurs "en continu" qui émettent avec la même intensité dans toutes les logeurs d'ondes/couleurs du spectre visible et les émetteurs "sélectifs" qui n'émettent que dans certaines longueurs d'onde (ou "couleurs") de l'arc en ciel.

 

Les émetteurs "en continu" (= horizontal) sont les étoiles (comme notre soleil) et les corps célestes qui reflètent la lumière d'un soleil / d'une étoile (comme la lune et les planètes). Les amas d'étoiles et les galaxies sont aussi composés d'étoiles.

 

Les émetteurs "sélectifs" (= vertical) par contre sont souvent des nébuleuses composées de gaz flottant librement dans l'espace. Elles ne peuvent pas produire leur lumière de manière autonome (comme les réacteurs de fusion dans une étoile), mais elles ont besoin d'un "excitateur" (une étoile) qui chauffe le gaz à blanc pour que ces nébuleuses émettent de la lumière. S'il n'y a pas d'étoile chauffante à proximité, le gaz reste sombre (nébuleuses obscures). La longueur d'onde de lumière "sélective" d'émission dépend de la sorte de gaz, dont est composée la nébuleuse. On peut déterminer l'élément chimique avec les "raies de Fraunhofer". Ce sont des lignes noires (blanches sur mon image négative) qui résultent d'une "extinction" de la lumière (par interférence) à cet endroit.

 

 

 

 

UHC, OIII et Hβ

 

 

 

Il est possible de fabriquer des filtres qui ne laissent passer que ces lumières sélectives émises par les nuages de gaz dans le ciel. Les "lignes" d'émission les plus courantes dans l'espace (au sein du spectre visuel) sont celles de l'oxygène doublement ionisé [OIII], et - dans une moindre mesure - celles d'une des lignes de l'hydrogène [Hß]. Elles sont très proches l'une de l'autre, l'une à 500,7 nanomètres et l'autre à 486,0 nm, ce qui permet de les capter toutes les deux par un seul filtre, le "UHC" ("ultra high contrast").

 

En raison de son contraste beaucoup plus élevé, je préfère cependant clairement le "OIII" en solo, le "" étant moins utile (p.ex. pour la "tête de cheval" et la "Californie", ... et c'est déjà presque tout). Les effets du filtre OIII "à bande étroite" par contre (ne pouvant pas seulement être appliqué à beaucoup d'objets de grande surface, comme la "nébuleuse d'Orion" et les "Dentelles" et autres, mais aussi à la grande majorité des nébuleuses planétaires), sont spectaculaires.

 

Ci-dessous les courbes de transmission de deux UHC, à gauche ("bande large", appelé UHC-S, et "étroite") et de deux OIII, à droite (aussi bande "large" et "étroite"). Là, où la courbe est la plus haute, la transmission est presque totale (autour de 90%), là où elle est en bas, il y a blocage total. Le contraste est d'autant mieux que la "bande passante" (la pointe en haut) est étroite. Pour les UHC et les OIII (donc les deux filtres à droite et à gauche), ne regarder que la pointe orange au milieu; nos yeux ne voient pas les passages ouverts à droite (> 650 nm = rouge foncé dans le spectre, correspondant à la partie grise sur le filtre du milieu, cette partie des filtres est pour la photo). Je reviendrai encore sur le filtre au milieu.

 

                un UHC-S                          un UHC étroit                     un Moon&Skyglow                     un O III étroit               un autre O III (très étroit)

 

Les graphiques ci-dessus ont pour seul but de démontrer que même parmi les filtres "à bande étroite", il y a encore des différences au niveau de "l'étroitesse". Chaque filtre est certainement un peu différent. Les filtres vraiment étroits  (ex. Lumicon, Astronomik, etc.) sont plus chers bien-sûr. Faire attention aussi à la "transmission" (hauteur de la courbe) à côte de l'étroitesse.  Je possédais p.ex. pendant des dizaines d'années un Hβ de "Thousand Oaks" qui était très bien (étroit), mais restait légèrement en dessous des 90% de transmission. Les filtres ont bien-sûr aussi été modifiés à travers les années, mais je ne pense pas que cela fasse une telle différence; voir André Knöfel qui a testé beaucoup de ces filtres il y a 15 ans.

Le contraste fait tout

 

 

 

 

Mais comment est-il possible qu'on voit mieux des objets très faibles comme des nébuleuses avec un filtre ? Là, il faut que je vous parle encore du contraste. ... Si vous êtes en vacances dans le Midi et le soleil tape fort, il se pourrait que vous ratiez une marche (unique) sur une grande place baignée au soleil. ... Pourquoi ? C'est parce que, dû au grand soleil, le rebord entre la partie horizontale des carreaux sur la place et la partie verticale de la marche n'est pas bien visible. Si l'on y avait mis un rebord noir, le contraste aurait été mieux et vous l'auriez certainement vu. Le contraste se détermine donc par la différence de luminosité entre le clair et l'obscure.

 

[... Et cette différence est étroitement lié à la taille de l'objet (la "résolution"). Si vous observez un petit cratère très bien contrasté sur la lune, il se pourrait que vous ne le verriez plus, si vous réduisez le grossissement: nos yeux ne sont plus capables à distinguer la différence entre le noir et le blanc, si la distance entre une ligne noire et une ligne blanche devient trop petite ou les lignes deviennent trop fines (voir "étoile de Siemens"). ... Mais là je dévie, je voulais parler d'autre chose].

 

Si vous éclipsiez le soleil sur la place dans le Midi, que se passera-t-il ? ... Il fera nuit noire et vous tomberiez également sur la marche ! Oui, ... mais quid s'il y avait encore une autre lumière sur la place, sélective et plus faible ? ... Vous verriez bien qu'il y a des parties de la place dans l'ombre et - en même temps - les parties "illuminées" par la lumière sélective (ex. verte) ressortiront mieux. C'est exactement ce qui se passe avec un filtre qui laisse passer uniquement, mais entièrement la lumière de la nébuleuse et éclipse tout le reste (sauf une toute petite partie de la lumière des étoiles, car elles émettent - entre autres - aussi dans le OIII). Vous verrez donc des étoiles très faibles, car filtrées et un arrière-fond du ciel très noir, car également filtré, mais les rayons de lumière de la nébuleuse passeront de pleine force et ne seront pas filtrés du tout. Quel contraste !

 

 

 

 

Et finalement: le Moon&Skyglow

 

 

 

 

Et si vous regardez maintenant la courbe du filtre au milieu (mon "Moon&Skyglow" encore sans Neodymium), qui est bien pour la lune et les planètes = objets brillants (!), donc pas pour les objets faibles, vous comprendrez pourquoi les filtres contre la pollution lumineuse ne marchent pas: les lampadaires polluants émettant "en continu" (LEDs) ou dans une multitude de longueurs d'ondes distribuées à travers le spectre (lampes oranges), le filtrage de ces lampes oblige à creuser plein de "tranchées filtrantes" dans le spectre et filtrera donc en même temps et au même taux de pourcentage les étoiles et les galaxies, également émetteurs "en continu".

 

 

 

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That's it ! ... Et pensez à "cueillir un maximum de lumière stellaire" !

 

 

(Vous trouverez ici des tuyaux pour l'observation et des cartes d'étoiles; ... les pages suivantes sont pour celles et ceux d'entre vous qui veulent approfondir leurs connaissances sur le fonctionnement d'une monture équatoriale ou alt-azimutale, mais sa lecture n'est pas absolument nécessaire pour commencer à observer).